Audience de la FSU auprès de la conseillère sociale du MENJ

11 avril 2024

F. Artaud, Adjoint au DASEN de la Vienne

D. Pionnier, Division de l’organisation scolaire

V. TCHOU-CONRAUX, Conseillère sociale au cabinet de la ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse.

Retrouvez les interventions complètes de la FSU sous le compte rendu.

Au cours d’une audience multilatérale (présence l’UNSA) de 2h30 avec la conseillère sociale du Ministère de l’Education Nationale, la FSU évoque en préambule trois points d’actualité : la situation des infirmières scolaires (manque de personnels pour accompagner les nombreux élèves en grande souffrance psychologique) ; le sous-effectif et la surcharge de travail des personnels des personnels académiques du rectorat et des établissements (alors que dans le même temps on refuse l’entrée de personnels sur l’académie) ; les attaques contre le lycée professionnel. Faute de temps, la FSU souhaite développer trois sujets particuliers : les moyens dans le 1er degré, la réforme de la formation des enseignant-es et la réforme du choc des savoirs.

1er degré et moyens

La FSU met l’accent sur le manque de moyens et les situations de souffrance au travail.

Il est impossible

  • d’assurer les remplacements, même lorsqu’il s’agit de remplacer les collègues pour des formations statutaires (prévisibles). Dans les écoles de la Vienne, le manque de remplaçants est criant : certains jours nous avons jusqu’à 68 classes sans remplaçant.
  • de prendre en charge les élèves à besoins particuliers : chaque année, la liste des élèves qui sont en attente de places en établissements spécialisés ou devant avoir droit au service de soins, s’allonge. Ils ont pourtant une notification officielle pour cela. Quasi aucune compensation n’est mise en place pour y remédier, notamment en termes de départ en formation spécialisée Ash, ce qui permettrait d’apporter des personnels spécialisés pour couvrir les postes existants et ainsi avoir des RASED complets, notamment des psychologues et des enseignants spécialisés dans le comportement et le relationnel.

Or, les spécificités du département ne sont pas prises en compte au moment de la répartition des moyens académiques par Madame la Rectrice :

  • la Vienne est le département avec le plus d’éducation prioritaire de l’académie en termes d’élèves et donc le plus consommateur de postes pour les dispositifs dédiés ;
  • une majorité d’école à 4 jours ½ ce qui n’est pas sans impact sur tout un pan de la gestion RH (demande de temps partiel, organisation des formations, possibilité de pactes…) ;
  • c’est un département fortement rural qui consomme des moyens pour maintenir le nécessaire service public d’éducation au plus près des usagers, même si les effectifs par classe peuvent être en deçà de la moyenne nationale.

La FSU-SNUipp 86 attend des réponses concrètes et exige des moyens pour faire fonctionner l’école. Les élèves et leurs familles sont en droit d’attendre un véritable service public d’éducation. Les enseignants sont en droit d’exiger de pouvoir remplir leur mission dans de bonnes conditions. Nous demandons des moyens en urgence et des places en établissements spécialisés. 

Réponses d’abord sur les 3 éléments d’introduction

  • Infirmière scolaire : les rémunérations des infirmières scolaires ont été revalorisées (191€ par mois en indiciaire et rattrapage de 800€ pour compenser le début d’année) ; les représentants nationaux seront reçus prochainement en audience. Le ministère est bien conscient des difficultés des élèves (post-covid) et des enjeux sur leur santé mentale. Le ministère lie cette question à celle de la décentralisation de la médecine scolaire et rappelle l’opposition de la Ministre contre le projet en discussion à l’Assemblée Nationale.
  • Personnels Administratifs : le MEN reconnaît une situation de souffrance liée à la mise en place de RenoirRH et les nombreuses démissions qui en découlent. Deux travaux en cours : revalorisation des agent-es et requalification de personnels de catégorie C en catégorie B.
  • Lycée professionnel : le versement de l’indemnité de stage aux élèves pose un problème de logiciel mais ça devrait être fait en avril. La semaine prochaine MEN reçoit les Organisations syndicales du LP

Réponses sur le 1er degré : 

  • Élèves perturbateurs et événements : La conseillère invite fortement les personnels à réaliser des “faits établissement” pour tout événement en école, comme cela se fait déjà dans le second degré. En effet, tous les “faits établissement” remontent chaque jour au ministère à 19h, et permettent d’avoir des éléments factuels quantifiés et donnent une base pour un traitement interministériel. La FSU invite donc tous les collègues des 1er et 2nd degrés à utiliser systématiquement cette procédure en plus des signalements au RSST lorsque la situation le nécessite.
  • Dispositif local : F. Artaud évoque le dispositif “brigade d’appui” sur le département, 5 collègues expérimentés se déplacent pour venir en appui dans la classe. Recrutement de deux nouvelles personnes à la rentrée. La FSU partage le constat mais regrette que ces moyens soient pris sur des moyens du département alors qu’il s’agit d’une expérimentation qui pourrait bénéficier d’un appui de la part du MEN.
  • Postes et baisses des effectifs : le contexte est une baisse globale des effectifs élèves, néanmoins le MEN a fait le choix de baisser le taux d’encadrement – le taux d’encadrement actuel pour le premier degré étant le plus bas depuis la création de la DEPP – ensuite c’est une question de répartition. Pour la FSU, cette réponse est inaudible au regard des besoins en remplacement criants, de la situation préoccupante des collègues, etc… On ne peut nier le besoin de postes pour la Vienne malgré la baisse avérée des effectifs globaux. Nous demandons à dépasser la gestion au seul tableau excel !
    • Réponse de F. Artaud : sur le département il y a eu 16 ETP attribués par le MEN sur les classes dédoublées – on n’est pas que dans une approche strictement comptable. Seulement trois classes à 29 sur le département (choix des PE pour alléger des CP). Faut-il laisser des petites écoles avec une classe isolée ? Même si il faut aussi prendre en compte les temps et conditions de déplacement pour les élèves. L’an prochain le pedt s’arrête donc les communes vont accepter plus facilement le passage à 4 jours (notamment Châtellerault).

La FSU demande qu’il y ait une communication institutionnelle auprès des collègues sur l’invitation à signaler les “faits établissement”, sous forme de note de service. 

La FSU fait remarquer que dans la réalité des faits le manque de moyens entrave le fonctionnement (communes rurales, enjeu du maintien de service public, écoles urbaines surchargées) : toutes les réformes se mettent en place sans les moyens nécessaires pour le fonctionnement, en prenant sur les moyens de remplacement et en dégradant les services publics (les enseignants ne peuvent pas faire valoir le droit à 3h de formation syndicale par exemple). 

La formation des enseignants

La FSU relaye la colère et l’inquiétude des personnels impliqués dans la formation, dans les INSPE en particulier, et celle des étudiants qui souhaitent s’engager dans la préparation des concours. Les informations sont floues, non stabilisées – alors qu’on est à six mois de la rentrée universitaire.

La FSU interroge le MEN sur des aspects généraux :

  • la place de l’université et le respect de son fonctionnement (élaboration des maquettes, recrutement, évaluation des formations) ;
  • l’avenir de la structure INSPE et de ses personnels – en particulier les enseignants de statut 2d degré ;
  • la nature des liens entre INSPE et les nouvelles ENSP.

Des questions très concrètes et urgentes sont aussi posées : que dire aux étudiants ? Que prévoit le MEN pour les étudiants qui échoueront au concours ? La question du financement en M1 et du temps de classe est-elle stabilisée ? Quel financement pour les modules de préparation à mettre en place à la rentrée ? Pour la rentrée et la suite, comment mettre en place des modules pour des concours qui n’ont pas une licence identifiée (CPE par exemple) ?

Réponse : 

Le MEN dit comprendre l’inquiétude de la communauté mais réfute l’idée que cette réforme soit pilotée par le MEN et conteste les propos sur l’absence de concertations. En l’absence de réponses à apporter aux questions posées, le MEN souligne qu’il n’est pas écrit que les INSPE sont supprimés et conseille aux personnels d’attendre la sortie des textes. Il annonce des réunions à venir.

Le MEN nie piloter la réforme et pourtant c’est ce ministère qui impose le tempo de la réforme : programme des concours en mai pour des modules de préparation en L3 en septembre, architecture des licences et masters, création d’une structure hors composante universitaire etc. A aucun moment les équipes n’ont été consultées, à aucun moment leur expertise n’a été prise en compte. Le MEN se rend-il compte qu’en annonçant en même temps que les programmes des concours seront publiés en mai et qu’il faut construire des modules pour la rentrée (sans indication de volume ni financement), il met les équipes en difficulté ? Mesure-t-il la violence des demi-annonces et allusions sur la disparition des INSPE découvertes par voie de presse, qui plus est formulées par un ministère qui n’est pas leur ministère de tutelle ? Pour les collègues, compte tenu de ce qu’ils viennent de vivre ces dernières années, tout cela est extrêmement violent. Cette maltraitance institutionnelle doit cesser.

2nd degré et choc des savoirs

Cette réforme pose des problèmes car elle porte atteinte au sens du travail pour les enseignants, ce qui entraîne pour eux un défaut de loyauté par rapport aux valeurs qui les ont amenés à faire le choix d’exercer ce métier.

Par ailleurs, les remontées des établissements mettent en évidence les difficultés de mise en oeuvre et renforcent le sentiment d’une réforme à géométrie variable selon les moyens mis à disposition par le MEN. Dans la Vienne on note pêle-mêle :

  • la mise en barrette de 4 classes d’un même niveau pour en faire 5 groupes au final avec un-e enseignant-e par groupe ;
  • la mise en barrette de 3 classes d’un même niveau avec un-e enseignant-e par classe et un-e 4ème collègue “volant-e” qui passe de classe en classe selon les besoins – “façon RASED” (réseau d’aide du 1er degré) ;
  • la co-intervention de deux enseignant-es sur une seule classe (exemple conjoncturel lié à la taille de l’établissement) ;
  • les situations d’impasse avec 2 enseignant-es sur un établissement alors qu’il doit y avoir 3 groupes créés mais qu’aucun recrutement n’est prévu.

La taille des établissements, les effectifs des équipes pédagogiques et des locaux paraissent conditionner les scénarios envisagés :

  • Dans les petits établissements, deux contraintes émergent : le manque de personnel et le nombre de divisions par niveau, parfois insuffisants ;
  • inversement, dans les gros établissements, ce sont les questions des locaux et de la constitution des groupes qui semblent prégnantes.

Les chef-fes d’établissement confirment des difficultés de gestion de la ressource humaine pour créer les barrettes de groupes en Mathématiques et Français (dans les établissements ruraux notamment). Les moyens manquent pour créer les groupes.

Cette réforme renforcera les inégalités territoriales déjà existantes : Comment le ministère peut-il assumer de renforcer les situations d’inégalité de traitement des usagers sur le territoire ? La pirouette de la ministre renvoyant la responsabilité des choix sur les PERDIR n’est pas entendable sur le terrain.

Autre conséquence de la réforme : le dépouillement des autres disciplines de leurs heures de dédoublement (la Technologie encore une fois sacrifiée mais ce n’est pas la seule) pour arriver à mettre en oeuvre la réforme avec une DGH contrainte.

Ce ne sont donc pas seulement les enseignants qui sont opposés à cette réforme, mais bien toute la communauté éducative : enseignants, personnels de direction, IPR, parents et même anciens DGESCO, c’est dire… Il est alors insupportable pour les chef-fe d’établissement d’entendre Mme la ministre expliquer que ces suppressions de groupes relèvent de leurs choix… en ont-ils vraiment ? La réponse est non et il est urgent que la Ministre ne renvoie pas la responsabilité de cette réforme sur les personnels qui, d’une voix unanime, ont rejeté ce projet de tri social. Les Risques PsychoSociaux sont donc avérés pour tous les personnels et particulièrement pour les enseignants qui pour certains et certaines sont fragilisés par la perspective d’enseigner au quotidien dans des groupes à forts besoins multiples et qui seront difficiles à cadrer et gérer. S’agit-il de leur demander de travailler tout l’été pour construire des contenus ? Comment éviter qu’ils soient en difficulté voire en échec professionnel à la rentrée ?

C’est donc la colère, le refus et le sentiment d’injustice qui dominent dans les établissements, les formations institutionnelles et les réunions syndicales. Ces sentiments sont d’autant plus renforcés qu’à la même époque l’an passé, le MEN demandait déjà aux équipes de s’engager dans la mise en oeuvre de l’heure de soutien approfondissement de 6ème, travail aujourd’hui piétiné, sans bilan. Cela renforce le sentiment de perte de temps et de sens du travail réalisé. Est-ce là la volonté du ministère ?

Réponses : 

  • Sur la constitution des groupes : La circulaire donne de la souplesse selon la taille des établissements. Elle doit être comprise comme cela : la mise en place de la réforme est à la main des équipes (mais sans moyens supplémentaires). Pour cela il y a 2 demi-journées pour mettre en oeuvre cette fin d’année (sans temps de concertation envisagé l’an prochain).

Les propos du MEN sont clairs : “si on lit bien le texte, les groupes vous les formez comme vous le souhaitez, ils doivent répondre aux besoins des élèves, c’est vous qui les connaissez. La taille de 15 n’est pas contraignante.” La remontée aux DSDEN et IPR n’est pas pour vérification mais pour servir de “base de dialogue”. Il n’y a donc pas un idéal pour la constitution des groupes. Suite à l’exemple proposé par la FSU, le MEN a confirmé que les équipes peuvent choisir de constituer un groupe hétérogène sur la même base que la classe de référence sous réserve qu’une mobilité soit possible (c’est à dire, créneaux français/math communs à tous les groupes d’une même barrette) et que cela sera conforme au texte : “lisez la circulaires, elle est très claire” dont acte ! La FSU invite toutes les équipes à se saisir de cette brèche dans la réforme et à maintenir des conditions de travail et des conditions d’études les plus favorables à la réussite de tous les élèves. 

  • Sur le pacte : arrêt des moyens pour le reste de l’année – un nouveau coup de rabot budgétaire est prévu en plus que ce qui a été déjà fait par Lemaire. Le schéma d’emploi est maintenu malgré les coupes budgétaires mais il faut trouver d’autres sources d’économies. A la rentrée, le Pacte sera recentré sur RCD et les HSE pour remplacements seront fortement réduites.

Votre délégation FSU : S. Bordes, M. Coret, G. Tabourdeau.

Le texte complet des interventions de la FSU

Délégation FSU de la Vienne 

F. Artaud, Adjoint au DASEN de la Vienne

D. Pionnier, Division de l’organisation scolaire

V. TCHOU-CONRAUX, Conseillère sociale au cabinet de la ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse.

Quelques mots d’introduction

De nombreux sujets préoccupent la communauté, que nous n’aborderons pas faute de temps

  • Nous pourrions porter ici la détresse des infirmières scolaires qui se voient de plus en plus sollicitées par les élèves en grande souffrance psychologique, ce qui pousse ces professionnelles à l’épuisement. Dans notre académie, plusieurs établissements n’ont pas de personnel de remplacement pour suppléer aux arrêts maladies du personnel infirmier (2 RSST du 14 Mars et 9 Avril). Il n’y a d’autres choix que celui de recruter massivement et renforcer la consultation infirmière de 1er recours libre d’accès et gratuite.
  • Nous pourrions également parler des personnels administratifs du rectorat et des établissements, toujours en fort sous-effectif dans l’académie de Poitiers. Situation ubuesque qui voit des collègues de catégorie C refoulés à l’entrée de l’académie suite au mouvement inter académique alors qu’un grand nombre de postes étaient encore vacants en septembre 2023 et dont l’occupation par des contractuel·es est très difficile faute de candidat-es. Bilan : fort impact négatif sur les conditions de travail des collègues en poste et surcharge de travail.
  • Nous pourrions enfin évoquer la situation des collègues de lycées professionnels qui, depuis la réforme de 2009, subissent une politique régressive de diminution du temps d’étude pour les élèves, y compris dans le domaine professionnel, au profit d’une formation qui s’inspire du modèle de l’apprentissage et a du mal à tenir les promesses faites aux lycéens, qui n’ont toujours pas reçu l’indemnité de stage promise. La carte des formations est pilotée par les besoins économiques locaux et conjoncturels. La démocratisation du savoir est en berne.

Faute de temps, nous reviendrons ce matin sur trois sujets en particulier : les moyens dans le 1er degré, la réforme de la formation des enseignant-es et la réforme du choc des savoirs.

1er degré et moyens

Notre département souffre du manque de personnel sur 2 points principalement : le remplacement et la prise en charge des besoins à élèves particuliers, qu’ils soient en situation de handicap ou pas. Concernant le remplacement, la pénurie est systématique et l’administration n’est même plus en capacité de pouvoir assurer le minimum réglementaire comme les décharges de directions ou le remplacement pour les formations obligatoires sur temps réglementaire (nouveaux directeurs ou stagiaires). Les conséquences sont évidentes : les élèves sont répartis dans les autres classes ou ne viennent pas à l’école, ce qui accumule du retard scolaire. Les faits de violence et d’accidents augmentent, la colère des parents monte, les collègues s’épuisent à compenser. Les situations d’arrêts de travail pour burn out et les demandes de temps partiel thérapeutique se multiplient. Il faut freiner cette spirale infernale : nous avons besoin de personnels supplémentaires.

Quant aux élèves à besoins particuliers : chaque année, la liste des élèves qui sont en attente de places en établissements spécialisés ou devant avoir droit au service de soins, s’allonge. Ils ont pourtant une notification officielle pour cela. Quasi aucune compensation n’est mise en place pour y remédier, notamment en termes de départ en formation spécialisée Ash, ce qui permettrait d’apporter des personnels spécialisés pour couvrir les postes existants et ainsi avoir des RASED complets, notamment des psychologues et des enseignants spécialisés dans le comportement et le relationnel. De manière générale, c’est tout le pan de la santé qui manque de médecins scolaires, d’infirmières scolaires…

Face à ce constat, la Vienne n a rien prévu de plus pour la rentrée 2024, pas un remplaçant en plus, pas un Rased en plus. Pour la Vienne, ce manque de postes est aussi dû au manque de prise en compte des spécificités de notre département au moment de la répartition des moyens académiques par Madame la Rectrice : nous sommes le département avec le plus d’éducation prioritaire de l’académie en termes d’élèves et donc le plus consommateur de postes pour les dispositifs dédiés. Nous sommes le département avec une majorité d’école à 4 jours ½ ce qui n est pas sans impact sur tout un pan de la gestion RH (demande de temps partiel, organisation des formations, possibilité de pactes…) . A l’image d’autres départements, comme le 93, face à cette surdité et au mépris des difficultés rencontrées dans nos écoles, la colère gronde et c’est bel et bien la question de la rentrée 2024 qui est mise en débat si des moyens ne sont pas débloqués.

Depuis la rentrée, l’école fait face à un niveau de tension rarement atteint. Dans les écoles de la Vienne, le manque de remplaçants est criant puisque lors de certaines journées, jusqu’à 68 classes n’étaient pas remplacées. Sans remplaçants et remplaçantes, les élèves sont répartis dans les autres classes pour des journées qui ne sauraient être des journées d’apprentissages.

Pour dénoncer les conditions de travail des personnels du 1er degré, nous avons déposé le 28 novembre dernier une alerte sociale : les problématiques que nous citions se confirment : souffrance au travail, renoncement, manque de personnels, inclusion sans moyen, réformes à marche forcée, revalorisation salariale insuffisante, tri social, voire mépris ministériel.

La FSU-SNUipp 86 attend des réponses concrètes et exige des moyens pour faire fonctionner l’école. Les élèves et leurs familles sont en droit d’attendre un véritable service public d’éducation. Les enseignants sont en droit d’exiger de pouvoir remplir leur mission dans de bonnes conditions. Nous demandons des moyens en urgence et des places en établissements spécialisés. 

La formation des enseignants

Les annonces sur la réforme de la FDE (quoi qu’on pense sur le fond de la position du concours) suscitent beaucoup d’inquiétudes chez les personnels et les étudiant-es. Il faut dire qu’on sort à peine de la réforme précédente et qu’il reste beaucoup de flou à six mois de la rentrée. Certes, on nous promet des arbitrages à venir… Mais le temps joue contre toute possibilité de concertation et de réflexion – or l’expérience récente de la réforme 2019 nous a bien montré que ce qu’on obtient quand les équipes sont sous pression pour mettre en oeuvre malgré elles des mesures non concertées, c’est de la souffrance au travail (CHSCT MESR juillet 2021) et un échec parce qu’on n’a pas entendu, voire on a méprisé, les voix des spécialistes. C’est ce qui nous fait dire que la mise en place de la réforme dès la rentrée 2025 est intenable dans de bonnes conditions.

Nous nous doutons bien que des annonces vont être faites, et nous souhaitons qu’il y ait (enfin) des temps de concertation. Mais d’ores et déjà nous voulons relayer la grande préoccupation de la communauté concernant la place de l’université et le respect de son fonctionnement : la place de la recherche, la liberté académique laissée pour l’élaboration des maquettes et la conception des contenus et les recrutements des formateur-ices.

Le document de mars dit tout le contraire : formateurs choisis avec minoration de l’université et de la recherche, maquettes imposées (qui les ferait mieux que les acteurs et actrices de la formation ?), contrôle de l’employeur MEN.

Certains éléments apparaissent de manière récurrente dans les propos et les échanges, comme l’idée que l’ENSP « chapeautera » les INSPE : quel est la nature exacte de ce chapeau ? (comment les INSPE resteraient-ils universitaires s’ils sont « chapeautés » par une structure mixte MEN-MESR et sont contrôlés par des IG ?). Cela ne paraît pas compatible avec l’expertise et les missions des personnels de l’université (pour rappel, l’instance d’évaluation des formations univ est l’HCERES). On entend dire aussi que les INSPE sont maintenus “pour le moment”. La ministre a elle-même dit : “L’INSPÉ fait partie des arbitrages qui seront rendus. Il n’est pas question de procéder à leur suppression de cette manière-là. Évidemment nous (nous) appuierons sur les compétences des INSPÉ même si nous travaillons avec eux sur les évolutions que nous souhaitons apporter à la formation”.

Que faut-il comprendre ? Si l’on entend dans ce propos que les INSPÉ ne seraient pas supprimés, la précision “de cette manière-là” laisse perplexe. Tout comme l’affirmation que le MEN travaille avec les INSPÉ. Vraiment ? Lors de quelles concertations ? Par ailleurs les INSPÉ ne sont-ils plus des composantes universitaires sous la tutelle du MESR ?

Ce sont des questions très générales mais cruciales. Nous en avons aussi de très concrètes et urgentes

  • Que dire aux collègues actuellement en charge de la formation ? collègues “de terrain” (qui passeraient à 50% dans la formation à venir dans le contexte actuel de manque d’enseignants ? Est-ce compatible avec un adossement à la recherche et un outillage suffisant des futurs professeurs ?), collègues de statut 2d degré qui semblent oubliés ? EC qui seraient “sélectionnés” ?
  • Que dire aux étudiants ? Que prévoit le MEN pour les étudiants qui échoueront au concours ? La question du financement en M1 et du temps de classe est-elle stabilisée ? Quel financement pour les modules de préparation à mettre en place à la rentrée ? Pour la rentrée et la suite, comment mettre en place des modules pour des concours qui n’ont pas une licence identifiée (CPE par exemple) ?

A aucun moment les équipes n’ont été consultées, à aucun moment leur expertise n’a été prise en compte. Le MEN se rend-il compte qu’en annonçant en même temps que les programmes des concours seront publiés en mai et qu’il faut construire des modules pour la rentrée (sans indication de volume ni financement), il met les équipes en difficulté ? Mesure-t-il la violence des demi-annonces et allusions sur la disparition des INSPE découvertes par voie de presse, qui plus est par un ministère qui n’est pas leur ministère de tutelle ? Pour les collègues, compte tenu de ce qu’ils viennent de vivre ces dernières années, tout cela est extrêmement violent. Cette maltraitance institutionnelle doit cesser.

2nd degré et choc des savoirs

En premier lieu cette réforme pose des problèmes car elle porte atteinte au sens du travail pour les enseignants, ce qui entraîne pour eux un défaut de loyauté par rapport aux valeurs qui les ont amenés à faire le choix d’exercer ce métier.

Empilement de contraintes et de formalisme en décalage avec ce dont les enseignants ont besoin pour travailler et qui ne répond pas aux besoins des élèves pour progresser. Ce sentiment est renforcé par les nombreuses recherches qui démontrent l’inverse de ce que le Premier ministre “assume” et essaye de faire croire. Comme le démontre la recherche, les équipes sont elles aussi attachées à une composante d’hétérogénéité dans les classes, qui permet aux enseignants d’enclencher des dynamiques de groupes et de construction de conflits socio-cognitifs qui font progresser les élèves les plus en difficulté comme les élèves un peu plus avancés en leur conférant des rôles au sein de la classe. Si il y a partition des groupes et uniformisation des problématiques en leurs sein, le groupe ne fonctionnera pas et les élèves ne progresseront pas.

Les remontées des établissements renforce le sentiment d’une réforme à géométrie variable selon les moyens mis à disposition par le MEN. Dans la Vienne on note pêle-mêle :

  • la mise en barrette de 4 classes d’un même niveau pour en faire 5 groupes au final avec un-e enseignant-e par groupe ;
  • la mise en barrette de 3 classes d’un même niveau avec un-e enseignant-e par classe et un-e 4ème collègue “volant-e” qui passe de classe en classe selon les besoins – “façon RASED” (réseau d’aide du 1er degré) ;
  • la co-intervention de deux enseignant-es sur une seule classe (exemple conjoncturel lié à la taille de l’établissement) ;
  • les situations d’impasse avec 2 enseignant-es sur un établissement alors qu’il doit y avoir 3 groupes créés mais qu’aucun recrutement n’est prévu.

La taille des établissements, les effectifs des équipes pédagogiques et des locaux paraissent conditionner les scénarios envisagés. Dans les petits établissements, deux contraintes émergent : le manque de personnel et le nombre de divisions par niveau, parfois insuffisants. Inversement, dans les gros établissements, ce sont les questions des locaux et de la constitution des groupes qui semblent prégnantes.

Les chef-fes d’établissement confirment des difficultés de gestion de la ressource humaine pour créer les barrettes de groupes en Mathématiques et Français. Surtout dans les établissements ruraux où il y a 2 enseignants de Français, 2 enseignants de Mathématiques et où il faudra créer 3 groupes dans chaque discipline en 6eme et 5eme, à raison de 9h en 6eme (3×4,5h) et 8h en 5eme (4,5 Fra et 3,5 maths). Cela peut aller parfois jusqu’à la contrainte d’envoyer un collègue faire un complément de service de l’équivalent d’un horaire de 6eme et/ou 5eme pour pouvoir faire venir un autre enseignant d’un autre établissement faire un groupe, et ainsi épauler les 2 collègues de l’établissement. Cela génère des problèmes d’incompréhension et un sentiment d’injustice alors que l’horaire total de l’enseignant existe dans l’établissement.

Cette réforme renforcera les inégalités territoriales déjà existantes : Comment le ministère peut-il assumer de renforcer les situations d’inégalité de traitement des usagers sur le territoire ? La pirouette de la ministre renvoyant la responsabilité des choix sur les PERDIR n’est pas entendable sur le terrain.

Les moyens manquent pour créer les groupes. La problématique est double puisqu’une autre question se pose : y aura-t-il assez d’enseignant-es à mettre devant les élèves à la rentrée ? Les Lettres sont une discipline déjà fortement déficitaire dans l’académie et le rectorat est déjà bien en peine pour trouver aujourd’hui encore un professeur de Lettres à Guez de Balzac, lycée d’Angoulême qui a encore fait une pleine page dans la presse locale. Quid de l’année prochaine ?

Autre conséquence de la réforme, le dépouillement des autres disciplines de leurs heures de dédoublement (la Technologie encore une fois sacrifiée et ce n’est pas la seule) pour arriver à mettre en oeuvre la réforme avec une DGH contrainte. Les chefs d’établissements sont en difficulté pour mettre en musique tout ceci sans braquer les équipes ni casser les dynamiques professionnelles et l’investissement des enseignants sur l’ensemble des autres projets ou actions. Les groupes absorbent la quasi-totalité de la marge horaire de l’établissement, entraînent l’arrêt de groupes de sciences, de sections sportives, de dispositifs de soutien natation, d’heure d’AP, de dédoublement en langue et HG etc. Tout ce qui fait le carburant de la dynamique éducative des établissements. Ce ne sont donc pas seulement les enseignants qui sont opposés à cette réforme, mais bien toute la communauté éducative : enseignants, personnels de direction, IPR, parents et même anciens DGESCO, c’est dire… Il est alors insupportable pour les chef-fe d’établissement d’entendre Mme la ministre expliquer que ces suppressions de groupes relèvent de leurs choix… en ont-ils vraiment ? La réponse est non et il est urgent que la Ministre ne renvoie pas la responsabilité de cette réforme sur les personnels qui, d ‘une voix unanime, ont rejeté ce projet de tri social.

Les RPS sont donc avérés pour tous les personnels et particulièrement pour les enseignants qui pour certains et certaines sont fragilisés par la perspective d’enseigner au quotidien dans des groupes à forts besoins multiples et qui seront difficiles à cadrer et gérer. S’agit-il de leur demander de travailler tout l’été pour construire des contenus ? Comment éviter qu’ils soient en difficulté voire en échec professionnel à la rentrée ?

C’est donc la colère, le refus et le sentiment d’injustice qui dominent dans les établissements, les formations institutionnelles et les réunions syndicales. Ces sentiments sont d’autant plus renforcés qu’à la même époque l’an passé, le MEN demandait déjà aux équipes de s’engager dans la mise en oeuvre de l’heure de soutien approfondissement de 6ème, travail aujourd’hui piétiné, sans bilan. Cela renforce le sentiment de perte de temps et de sens du travail réalisé. Est-ce là la volonté du ministère ?