Dossier SNESUP : Éthique et robotique

Édito

Dossier coordonné par Gérard Lauton

Les champs de mise en oeuvre de robots sont légion : production, services, indexation des
données, vie urbaine, sécurité, loisirs, domotique… Leur arrivée donne lieu à des transformations inédites et à des problématiques nouvelles, souvent mythifiées.

Leurs incidences sur l’emploi inquiètent. Cependant, ce ne sont ni la robotisation, ni l’automatisation, ni l’usage intensif des TIC dans les bureaux qui sont à l’origine de tous ces maux, mais les conditions de leur mise en oeuvre, avec la pression permanente à la réduction des coûts du travail (Jean-Pierre Durand).

Leur impact sur le remaniement des emplois ne peut s’apprécier sans prise en compte des relations macroéconomiques (Jean-François Dortier). Dans la logistique, on ne saurait mélanger la création d’emplois absolue liée à une hausse des activités et sa contraction relative du fait d’innovations technico-organisationnelles (Salvatore Maugeri).

Quant aux logiciels robots, leur puissance inédite ouvre la voie à une informatique coopérative, champ de formation et de recherche pour l’ESR, mais aussi à une surveillance généralisée. L’implication citoyenne est donc au coeur de ces enjeux.

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Faut-il avoir peur des robots ?

Faut-il avoir peur des robots ? Robotisation, automatisation : emplois et qualifications

par Jean-Pierre Durand, professeur émérite de sociologie du travail à l’université d’Évry-Val-d’Essonne

Le mythe d’un univers professionnel où tout serait régi par des robots est encore loin de la réalité. Si l’automatisation a fait disparaître des emplois, elle en a aussi créé d’autres. Surtout, elle a modifié en profondeur le fonctionnement de l’entreprise, faisant peser une pression toujours plus forte sur les salariés, tenus de maintenir la continuité de la production dans des processus toujours plus complexes.

La robotisation des ateliers, voire des bureaux, possède une dimension mythique qui prend quelquefois ses sources dans la science-fiction, relayée par des journalistes mal informés ou ne fréquentant pas assez leurs terrains d’investigation. Les robots ne sont pas nombreux (si on les définit rigoureusement, c’est-à-dire en intégrant une part importante d’autonomie de décision) et les investissements afférents restent faibles comparés à ceux réalisés dans l’automatisation en général des procédés de fabrication industriels et dans la logistique. Par exemple, les robots sont moins d’une centaine dans une usine de montage automobile de 3 000 ouvriers qui fabriquent 1 500 voitures par jour. Autrement dit, rien ne sert d’avoir peur des robots : il vaut mieux s’interroger sur les autres sources de réduction des coûts chaque jour recherchées par les directions d’entreprise dans les secteurs aussi variés que l’automobile, l’aéronautique, les appareils ménagers, les matériels électroniques, l’agroalimentaire et aujourd’hui dans les services.

Les éléments de l’article

Au-delà des délocalisations industrielles et maintenant tertiaires vers les pays à bas coût de main-d’œuvre, qui détruisent mille fois plus d’emplois que la robotisation, la réduction des coûts de fabrication (la fameuse lean production pour « production amaigrie » ou « frugale ») passe par trois propositions complé- mentaires dans l’industrie (la déclinaison vers le new public management dont chaque lecteur est victime mériterait d’autres analyses !) :

– la simplification des produits à fonction constante : par exemple, là où un pare-chocs de voiture comprenait une centaine de pièces il y a vingt ans, il n’en comporte plus qu’une dizaine ; idem pour un siège de cabine d’avion. Les économies de meilleure manufacturabilité sont considérables ;

– la double intégration par la réorganisation fonctionnelle des entreprises et par la puissance des calculateurs (lire encadré « Un cas d’intégration numérique : la carrosserie automobile ») favorise une meilleure qualité « du premier coup », la réduction des aléas dans la fabrication sur des installations de plus en plus informatisées-automatisées (où les robots en tant que tels agissent à la marge) ;

– la réorganisation de la production et du travail avec la généralisation du juste-à-temps (désigné plus généralement par flux tendu), les outils socio-productifs (dits « participatifs », autour du zéro défaut, zéro panne, zéro gaspillage) qui permettent de maintenir la fabrication avec une main-d’œuvre réduite au minimum.

En résumé, la réduction des coûts, à qualité et variété accrues des produits, repose sur l’intelligence de conception, sur l’automatisation et sur des réorganisations du travail humain à tous les échelons de la conception-fabrication des biens (on pourrait faire la même démonstration avec les « produits » bancaires ou des assurances). Quoique personne ne se hasarde à chiffrer la source des gains de productivité avec précision, on peut penser que la part des gains de productivité globale issue de l’automatisation industrielle(1) est bien inférieure aux gains issus des réorganisations du travail. On peut prendre appui ici sur un rapport du Boston Consulting Group sur l’industrie 4.0(2), cité par Tommaso Pardi, selon lequel les gains de productivité supplémentaires attendus de l’intensification de l’usage des TIC pour les cinq à dix années à venir ne dépasseraient pas 6 à 9 % au total dans l’industrie automobile allemande…

Le premier effet difficilement contestable de l’automatisation-robotisation industrielle (ou logistique) est la réduction de la manutention de charges lourdes par les ouvriers (la réglementation du travail y a aussi contribué, en partie parce que c’était possible matériellement) : des aides à la manipulation, dans l’industrie automobile, dans le BTP, dans la logistique, allègent le travail physique sur de très nombreux postes de travail. Mais, parallèlement, d’autres types de charges de travail sont venus détériorer les conditions de travail de ces mêmes salariés. D’une part, les pressions managériales – et au-delà actionnariales – de baisse des coûts de main-d’œuvre font que des postes remplis hier à 70-75 % le sont aujourd’hui jusqu’à 90 % voire plus s’il s’agit de main-d’œuvre précaire. D’autre part, les charges mentales des salariés se sont nettement accrues, à la fois par le calcul au plus juste de leur nombre (on remarquera aussi qu’il n’y a plus de remplaçants) et par l’effet de fragilisation-complexification des processus productifs dont il faut maintenir la continuité de production. Le résultat bien connu est celui de la forte croissance du mal-être au travail, des insomnies, de la consommation de psychotropes, etc., allant jusqu’au suicide. Ici, ce ne sont ni la robotisation, ni l’automatisation, ni l’usage intensif des TIC dans les bureaux qui sont à l’origine de tous ces maux, mais les conditions de leur mise en œuvre, avec la pression permanente à la réduction des coûts du travail. L’avidité des actionnaires, déclinée dans les entreprises par des managers qui n’ont guère le choix, sauf de démissionner, frise l’absurde : comment exiger d’accroître de 10 % (voire quelquefois de 15-20 %) la productivité du travail chaque année ? Peut-être est-ce possible la première année de la réorganisation, un peu moins la deuxième année : mais ensuite ? Voici l’un des fondements de la revendication patronale d’une plus grande flexibilisation du travail – et d’une moindre protection des salariés – à travers le recours massif aux emplois dits « atypiques », à la sous-traitance, et in fine le fondement de la fameuse loi travail…

Si ce sont les actionnaires qui dictent les économies en coût de main-d’œuvre, l’automatisation possède, quant à elle, des exigences qui résistent aux lois immédiates du capital. En effet, les processus d’automatisation-informatisation-robotisation complexifient et fragilisent la production, en particulier si l’on croise ces processus avec des vitesses de fabrication et d’usinage toujours plus grandes : les outils les plus performants s’usent ou cassent, leur usure réclame une forte anticipation pour que les cotes des pièces soient respectées, etc. Autrement dit, les processus automatisés-robotisés réclament, pour être efficaces, des qualifications supérieures par rapport à celles qui sont mobilisées sur des systèmes plus traditionnels.

Mais ce mouvement n’est pas univoque et il peut être interprété par le management et les organisateurs afin de limiter les nouvelles exigences en matière de qualification. En premier lieu, il subsiste, en amont et en aval des segments automatisés, nombre de tâches de chargement-déchargement, de manutention, etc., que les hommes (ici des OS ou des manutentionnaires) exécutent avec beaucoup plus de flexibilité et de souplesse que les robots pour des investissements bien infé- rieurs : ce fut l’illusion des années 1980 que de vouloir automatiser toutes les tâches dans le montage automobile avec un échec retentissant au regard du nombre de retoucheurs qu’il fallait mobiliser pour « sortir » la production. En second lieu, si les interventions techniques exigent réellement des compétences supérieures pour diagnostiquer, dépanner et plus généralement maintenir ces lignes automatisées en état de marche, les organisateurs du travail ont tôt fait de codifier/standardiser les opérations pour en diffuser la faisabilité au plus grand nombre d’ouvriers ou de techniciens en les formant a minima (pour freiner les revendications salariales) et en les rendant interchangeables. Autrement dit, ce serait une grande illusion que de penser que cette complexification des processus doive s’accompagner d’une forte hausse des qualifications pour tout le monde dans les ateliers comme dans les bureaux.

S’il y a bien hausse généralisée des qualifications, elle est largement contenue par une organisation du travail qui vise à le simplifier (même s’il reste plus complexe qu’hier) et à le standardiser pour que le plus grand nombre de salariés s’approprient ces connaissances émergentes et entrent à nouveau en concurrence dans un contexte de chômage structurel.

Ainsi, face au mythe de la destruction massive des emplois par l’automatisation-robotisation ou face à l’utopie d’un « tous ingénieurs » pour accompagner celle-ci, il faut raison garder. Ni automatisation à tout crin car l’homme reste plus flexible que la machine, ni promotions fulgurantes des ouvriers et techniciens car la simplification du travail le plus complexe demeure la logique implacable de directions et d’actionnaires qui veulent toujours abaisser les coûts salariaux.

(1) Nous ne traitons pas ici de l’accélération de l’automatisation du traitement de l’information (informatique), qui est une autre source de baisse des coûts, quoique en partie compensée par des besoins toujours croissants en volumes de calculs d’une industrie ou de services toujours plus intégrés, donc toujours plus complexes. (2) Le concept d’industrie 4.0 désigne une nouvelle façon d’organiser les moyens de production en construisant des usines dites « intelligentes » (smart factories) assez flexibles pour que les clients puissent « customiser » leur véhicule à partir d’Internet : on imagine bien que ces solutions ne seront rentables que pour les véhicules de haut de gamme fabriqués en petite série. Voir Tommaso Pardi, « L’industrie du futur dans l’automobile : un concept made in Germany », Gerpisa, ronéoté, 2016 (gerpisa.org)

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Les robots vont-ils tuer les emplois ?

Les robots vont-ils tuer les emplois ?

par Jean-François Dortier(1), rédacteur en chef de Sciences Humaines

Quatre emplois sur dix, y compris dans les métiers qualifiés, risquent d’être automatisés dans les vingt ans à venir : cette prédiction alarmiste, largement relayée par la presse au printemps 2015, est-elle valide ? N’y a-t-il pas des effets en retour créateurs d’autres emplois ?

Fin 2014, une étude (cabinet Roland Berger) alerte sur les risques majeurs que la révolution digitale fait peser sur les emplois et le travail(2). En France, dans les dix ans, 42 % des métiers risquent d’être transformés. Ce sont 3 millions d’emplois qui pourraient être détruits. La robotisation va-t-elle « déstabiliser en profondeur les classes moyennes françaises » ? Ainsi, une nouvelle génération de robots et de machines s’attaquerait désormais à des secteurs jusque là épargnés par l’automatisation des tâches. Dans le domaine de la santé, logiciels de diagnostics médicaux et robots distributeurs de médicaments pourraient remplacer les agents de soin. Les voitures automatisées remplaceraient les chauffeurs. Dans le métier du journalisme, des logiciels (cf. Quill) peuvent déjà rédiger des articles financiers et des comptes rendus de matchs sportifs… Désormais l’automatisation des tâches, qui a supprimé des emplois dans l’industrie, s’attaquerait au secteur des services et aux emplois plus qualifiés. Après les classes populaires, les classes moyennes seraient menacées.

(1) Texte remanié (Gérard Lauton) à partir de l’article paru sous le même titre dans Sciences Humaines, avec l’aimable autorisation de l’auteur. (2) Roland Berger, « Les classes moyennes face à la transformation digitale ».

Les éléments de l’article

Le remplacement progressif des humains par les machines semble une loi de l’Histoire. On fabrique des machines pour allé- ger l’effort et augmenter les forces humaines ; et à terme pour les remplacer. Durant les Trente Glorieuses, l’arrivée des tracteurs et machines agricoles a permis de décupler la puissance de travail des paysans : la production de céréales, légumes, viande, lait augmentait à mesure que le nombre d’agriculteurs diminuait. Puis ce fut au tour des emplois d’ouvriers spécialisés (OS), qui soudaient ou peignaient les automobiles sur des chaînes de montage, d’être supprimés par des robots industriels. Aujourd’hui, assurance, banque et services en général semblent connaître le même sort que les agriculteurs et les ouvriers naguère.

Mais comment comprendre alors que durant les Trente Glorieuses, période de grands progrès techniques, le nombre d’emplois global n’a cessé d’augmenter ? Et qu’aujourd’hui un pays comme l’Allemagne, deux fois plus équipé en robots que la France (par nombre de salariés), ait aussi un taux de chômage nettement inférieur ? Une réponse à cette énigme avait été apportée par l’économiste et démographe Alfred Sauvy dès les années 1980. Dans La Machine et le Chômage (Dunod, 1980), il s’en prenait à l’illusion du « chômage technologique ». Si, à court terme, la machine diminue l’emploi dans un secteur (ex. l’agriculture), elle a aussi des effets positifs à long terme. Avec la baisse des coûts des produits alimentaires, le pouvoir d’achat des consommateurs augmente, et ils transfèrent leur consommation vers d’autres secteurs : produits industriels ou santé (théorie du déversement). C’est ainsi que les enfants des agriculteurs des Trente Glorieuses ont quitté « un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la ferme où ils sont nés » et gonflé les rangs des classes moyennes.

D’autres études ont exploré les relations complexes entre emploi et chômage. Celle d’Olivier Blanchard, Robert Solow et Beth Anne Wilson a montré que sur le long terme, il n’y a aucune correspondance entre innovation et chômage(3). Une étude de 2011 a tenté de prendre en compte trois effets de l’automatisation :

  • sur la productivité du travail : elle est augmentée par l’automatisation ;
  • sur le court terme : suppression d’emplois dans les secteurs concernés ;
  • sur le long terme : transfert de revenus dans d’autres secteurs.

Les données empiriques confirment bien ces trois effets, le bilan global en termes d’emploi étant finalement positif(4).

Annoncer un nombre d’emplois détruits – des millions à l’horizon 2025 – du fait des innovations techniques, en l’isolant de l’ensemble des relations macroéconomiques, n’a aucun sens. D’autant que cette prévision repose sur une autre : l’arrivée d’une nouvelle génération de programmes d’intelligence artificielle (IA) et de robots qui bouleverseraient l’économie. De quoi s’agit-il ?

(3) Olivier Blanchard, Robert Solow et Beth Anne Wilson, « Productivity and unemployment ». (4) Lene Kromann, Jan Rose Skaksen, Anders Sørensen, « Automation, labor productivity and employment: a cross country comparison ».

Tout le monde a entendu parler de Big Data ou du Cloud ; et a vu des robots humanoïdes. Et la voiture sans pilote est en cours de mise au point (Google avec sa Google Car).

Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee(5) parlent d’un « deuxième âge des machines ».

Gagnant du jeu télévisé « Jeopardy » en 2011, le supercalculateur Watson d’IBM s’attaque désormais au domaine médical pour le diagnostic du cancer. Selon E. Brynjolfsson et A. McAfee, des programmes fondés sur les machines apprenantes(6) vont se développer (loi de Moore(7)). Qu’en est-il ? Déduire des bouleversements technologiques du fait d’avancées récentes se heurte à de sérieuses objections.

L’histoire de l’IA a plusieurs fois démenti les prédictions. En 1956, Herbert Simon, créateur avec Allen Newell du GPS, prévoyait que dans les dix années qui allaient suivre, les traducteurs automatiques auraient remplacé les interprètes : c’était il y a soixante ans ! De même, on prévoyait déjà que les systèmes experts (aide à la décision) pourraient se substituer aux médecins. Depuis, alors que les ordinateurs ont démultiplié leur puissance, l’IA a connu des développements très inégaux, alternant crises et avancées partielles(8), qu’il s’agisse de reconnaissance et synthèse vocale, de traduction automatique ou de capacités d’apprentissage artificiel. Aujourd’hui, ce sont les machines apprenantes, fondées sur des modèles prédictifs (bayé- siens), qui ont le vent en poupe(9), sans pour autant donner lieu à un bouleversement technologique majeur. La prospective technologique est un art risqué, sa traduction en termes d’emplois encore plus.

(5) Spécialistes du business innovation au MIT (6) Au lieu d’une suite fléchée d’instructions (algorithme classique), elles réagissent au fil de l’expé- rience, comme le ferait un humain face à un itiné- raire non fléché. (7) Constat empirique (1965) de Gordon Moore : tous les dix-huit mois, les ordinateurs doubleraient de puissance. (8) Jean-François Dortier, « L’intelligence artificielle. Espoirs et réalisations », Le Cerveau et la Pensée, Jean-François Dortier (dir.), Éditions Sciences Humaines, 2012. (9) Jean-François Dortier, « Penser, c’est prédire », Sciences Humaines, n° 248, mai 2013.

L’étude nous apprend que le logiciel Watson d’IBM peut établir un diagnostic médical « fiable à 90 % pour les cancers du poumon ». Les jours des médecins seraient-ils comptés ? Non, bien sûr, « le médecin ne disparaîtra pas », dit l’auteur, pour qui ce sont plutôt les emplois paramédicaux qui seront touchés, « le personnel hospitalier via le développement des robots ». Mais pour qui connaît le travail des infirmières et aides-soignants, un robot-distributeur de médicaments(10) ne remplacera pas leur travail. Aucun robot n’est bientôt en lice pour faire les lits, un pansement, déplacer les patients, faire leur toilette, etc. Les médecins, infirmières, ASH et agents d’entretien ne sont pas menacés dans un avenir proche. Certes, la robotique médicale progresse dans des secteurs pré- cis : robotique chirurgicale de précision et robotique de réhabilitation (prothèses). Mais on ne saurait imaginer les métiers de soin bouleversés par l’irruption de l’informatique avancée ou des machines apprenantes.

Qu’en est-il du secteur du transport ? Selon le cabinet Roland Berger, l’essor de la voiture autonome aura un « fort impact » sur l’emploi. Les chauffeurs (taxis et routiers) sont-ils condamnés ? C’est plus que douteux. Si les prototypes sont fonctionnels, leur commercialisation n’est pas prévue avant 2020. Et qui dit voiture automatique ne dit pas disparition du chauffeur : le pilotage automatique des avions n’a pas supprimé les pilotes. Pas de pilotage automatique complet de véhicules avant 2030 ; ce qui ruine l’hypothèse alarmiste d’un fort impact sur les transports français vers 2025.

La troisième révolution industrielle a déjà plus de trente ans : les ordinateurs de bureau et l’informatique domestique ont bouleversé la vie quotidienne, le travail, dont une grande partie du secteur tertiaire : administrations, santé, marketing, architecture, presse. De nombreux emplois y ont été supprimés. Mais elle en a transformé d’autres, et en a aussi créé de nouveaux. Elle va continuer à travailler le paysage de l’emploi. Bien malin qui pourrait affirmer que 3 millions d’emplois seraient menacés ou que 42 % des emplois seraient fortement impactés par cette nouvelle génération de machines. Personne ne sait prévoir l’avenir technologique à l’horizon de dix-vingt ans et encore moins mesurer son impact sur l’emploi. Même les machines apprenantes et les robots ne savent pas le faire…

(10) Le TUG d’Athéon implanté à titre expérimental dans des hôpitaux de Californie.

On invoque souvent la machine comme responsable du chômage. Elle dévore l’emploi en remplaçant les salariés… Ce raisonnement intuitif est cependant à courte vue. Pour mesurer l’impact des techniques sur l’emploi, il faut prendre en compte toutes leurs interactions.

Ainsi, une innovation technique(11) va augmenter la productivité et supprimer des emplois (effet 1).

Mais les gains de productivité et la baisse des coûts du travail peuvent entraîner une baisse des prix, d’où une hausse d’achats d’automobiles, et donc d’emplois (effet 2). La baisse des coûts peut entraîner un transfert vers d’autres produits – effet de déversement, selon Alfred Sauvy (effet 3).

Enfin l’innovation technologique (nouvelle gamme de robots) engendre de nouveaux produits de consommation, de production.

C’est l’effet Schumpeter. En résumé, l’automobile a supprimé les emplois de cochers et de constructeurs de fiacres mais a créé une industrie nouvelle à la base de la révolution industrielle.

(11) Exemple : un nouveau robot dans la fabrication automobile.

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Logiciels robots et algorithmes, aubaines et périls : entretien avec Maxime Wack

Loin de l’image d’Épinal des robots humanoïdes, les logiciels robots ont envahi la sphère numérique en toute discrétion, tant ils sont transparents pour l’usager. Leurs champs d’action sont redoutablement étendus pour le meilleur et pour le pire.

Université technologique de Belfort-Montbéliard, ancien élu SNESUP au CNU (61e section).

« Qui va proposer ces nouveaux outils, dans quel pays vont-ils être inventés et transférés ? »

Les premiers logiciels robots que j’ai rencontrés ont été inventés par la société Rank Xerox pour alimenter une base de données – des index de mots-clés – pour son premier moteur de recherche : Altavista. Ce logiciel allait chercher les mots anti-dictionnaires( 2) des sites Web en ligne, et ainsi constituait une base servant à classer les sites en fonction de la pertinence du texte et des demandes des internautes. Google a ensuite amélioré le principe en l’étendant à une recherche par groupe de mots. Aujourd’hui, une nouvelle demande, due à l’informatique pervasive(3) et ubiquitaire (Big Data), recentre sur l’utilisateur les nouvelles bases de données qui vont nous amener l’information, juste nécessaire, sur notre portable.

Cela nécessite une remise en cause complète des outils de l’informaticien, qui doit être capable de construire ces nouvelles bases NoSql (par opposition aux bases classiques Sql de type Oracle). Mais aussi un changement radical dans l’archivage de nos données, qui se retrouvent gérées dans le Cloud (c’est-à-dire partout sauf sur notre ordinateur). Là encore, ce sont des robots qui archivent, restituent, et sécurisent.

(2) Les mots signifiants hors dictionnaire, qui caractérisent le plus un texte. (3) Se dit d’une informatique diffuse permettant à des objets de se reconnaître entre eux et de se localiser.

Comme toujours il y a du bien et du moins bien… Prenons deux exemples. Premier exemple : quand vous recherchez un article sur Google, un robot analyse toutes vos demandes et, par un travail en temps réel sur des millions de données, vous propose instantanément des offres commerciales correspondant à vos attentes. C’est évi demment là que se situe le problème car nous sommes épiés, disséqués, anti cipés, dénudés… Deuxième exemple : l’e-call ; si vous avez un accident de voiture, cette informatique intrusive peut vous sauver, en alertant les secours à votre place. Mais j’aurais aussi pu prendre comme exemple les botnets, ces petits logiciels robots nichés dans les objets connectés (IOT) et qui ont bloqué l’ensemble du Web pendant toute la journée du vendredi 21 octobre. Comme les gremlins, ils sont pourtant d’habitude bien gentils car ils sont à la base du fonctionnement de l’IOT.

Prenons l’exemple de l’apprentissage dans l’ESR des bases de données qui permettent de faire fonctionner ces robots. Depuis bientôt vingt ans, un certain consensus autour de leur enseignement s’était installé. Il fallait que l’étudiant soit capable de modéliser la base grâce à des outils ou méthodes appropriés (UML, VMC, méthodes agiles…) puis de choisir une base et de la programmer. Et là, patatras, nous arrivent le Big Data et dans la foulée son corollaire, la création d’une nouvelle sorte de base de données, de type temporel, avec les logiciels ad hoc (Cassandra…). Les outils méthodologiques et d’analyse n’existent pas encore, l’ESR est bien évidemment sur le coup pour les inventer, mais il nous faut du temps et des moyens. Et là, chers collègues, on en revient à nos revendications syndicales. Les enseignants-chercheurs ne demandent qu’à se lancer dans l’aventure, surtout que les étudiants et les entreprises sont demandeurs d’apprentissage de ces nouveaux concepts. En conclusion, qui va proposer ces nouveaux outils, dans quel pays vont-ils être inventés et transférés ? Dans des pays qui considèrent leur R&D du secteur public comme vitale et qui y mettent les moyens. Devinette, donnez des noms ? Je vous laisse sur cette interrogation !