Dossier : École privée vs école publique

Mettant à profit le contexte de l’élection présidentielle, l’enseignement privé confessionnel a revendiqué une augmentation des moyens qui lui sont alloués, insuffisants à ses yeux pour répondre à la demande.

Entre concurrence et rivalité

L’objectif est bien d’accroître son influence, de partir des clivages qui traversent notre société pour asseoir davantage sa représentation en jouant pleinement la carte de la concurrence. La prétention de
l’enseignement privé à participer à l’intérêt général, à un projet pour le système éducatif commun à tous se heurte vite aux faits sociologiques.
L’orientation globale, en dépit de différences liées à l’histoire des territoires, consiste bien dans la volonté d’un tri des publics et dans le refus d’une véritable mixité sociale et scolaire. Les politiques régionales, qui ne se soucient guère du développement du service public, se satisfont de l’ouverture de formations dans le privé au détriment du public, notamment dans le post-bac. Quant à l’insuffisance des constructions d’établissements et des moyens accordés notamment à ceux qui accueillent les jeunes les plus en difficulté, elle pèse également sur le choix des familles. Les failles du service public doivent susciter des réactions, à commencer
par une politique de développement permettant que l’école publique soit en mesure d’offrir à tous les jeunes les conditions d’études les plus favorables, quelles que soient leurs origines.

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Les articles

Des articles à dérouler

L’existence de deux réseaux éducatifs parallèles trouve son origine dans le legs clérical du XIXe siècle, avant l’enracinement de la République, ainsi que dans les diverses atteintes perpétrées contre la laïcité scolaire depuis les années 1950.

La loi Falloux, votée par le « parti de l’ordre » le 15 mars 1850, permet aux communes d’ouvrir en toute liberté un établissement secondaire (privé ou non) avec les enseignants de leur choix. Elle soumet les établissements publics et les instituteurs au contrôle des autorités administratives et « morales », autrement dit religieuses. Elle permet aux collectivités locales d’aider les investissements des établissements confessionnels.

Le privé en République

Avec l’instauration de la République, l’école publique est laïcisée : l’enseignement religieux ne fait plus partie des programmes, l’Église n’a plus de pouvoir de contrôle sur les enseignants, et ceux-ci ne doivent plus s’inspirer des « valeurs chrétiennes ». Il s’agit de respecter la liberté de conscience de tous, en lien avec l’obligation scolaire dans le primaire et la volonté de développer le secondaire public face à un enseignement privé surtout catholique, qui se développe. Les tentatives d’interdiction de l’enseignement confessionnel n’aboutissent pas et, à partir des années 1920, se heurtent à un reflux idéologique. Dans les années 1950, les gouvernements vont multiplier les aides indirectes ou directes à l’enseignement privé. La loi Debré (1959) va plus loin : les établissements privés qui acceptent de s’engager par contrat à respecter les horaires et contenus d’enseignement définis par l’État, tout en conservant leur « caractère propre » (voir page 26), voient les rémuné- rations de leurs enseignants pris en charge. Une pétition de plus de dix millions de signatures contre ce financement n’empêchera pas qu’une mission de service public soit ainsi confiée au privé.

Apaisement ou paix armée ?

Tandis que les dispositions de la loi sont confirmées (1971) et étendues (loi Guermeur de 1977), la gauche politique et le syndicalisme laïque mettent en avant la construction d’un service public laïque unifié de l’Éducation nationale. En 1984 le projet de loi Savary, qui va vers l’unification sans envisager de nationalisation, ne convainc pas les forces laïques et, surtout, provoque une très forte mobilisation de l’enseignement privé et de la droite qui contraint le pouvoir à abandonner son projet.

Le rapport de force n’est depuis plus suffisant pour remettre en cause le dualisme scolaire, alors même que les politiques publiques encouragent une vision concurrentielle de l’éducation, y compris au sein du service public. En 1993-1994, cependant, la tentative de supprimer le plafond de financement des établissements privés par les collectivités locales suscite une immense mobilisation victorieuse. Face à un enseignement privé qui revendique toujours plus, la défense de l’investissement éducatif, l’amélioration du service public et le développement de sa démocratisation restent la meilleure façon de défendre l’école publique.

L’enseignement privé, 21 % des élèves dans le secondaire, prend différentes formes. La plus connue est celle des établissements privés sous contrat ou hors contrat.

Les premiers regroupent 96 % des élèves du privé. Le contrat avec l’État oblige à ne pas choisir les élèves selon leurs origines, leurs opinions ou leurs croyances. Il permet la captation d’argent public au profit d’organismes privés : rétribution par l’État des enseignants et dotation de fonctionnement par les collectivités territoriales à hauteur de celles attribuées aux établissements publics. Ces établissements sont très largement confessionnels : 96 % catholiques, 3,4 % juifs, 0,3 % musulmans.

Dans l’enseignement agricole, le service public est contesté : 60 % des élèves sont accueillis dans l’enseignement privé (pour moitié catholique). Les familles n’ont donc pas le libre choix tant vanté pourtant par les défenseurs du privé et elles subissent un surcoût à la scolarisation inacceptable (frais d’inscription, internats obligatoires).

Deux maillons faibles

Les centres de formation des apprentis sont essentiellement privés (organisations professionnelles, chambres de commerce et d’industrie…) et bénéficient de fortes subventions des Régions. L’apprentissage profite largement de financements publics (exoné- ration de cotisations, crédits d’impôts, voire subventions pour l’embauche d’apprentis). Enfin l’enseignement n’échappe pas à la marchandisation générale de nos sociétés. Boîtes à bac, soutien scolaire et autre « coaching » en orientation ont été encouragés par l’OCDE et les politiques publiques nationales (crédit d’impôt par exemple).

Les établissements privés scolarisent 41,7 % des élèves du secondaire dans l’académie de Rennes et 40,4 % dans celle de Nantes. C’est près du double de la moyenne nationale.

Legs du poids passé de l’Église catholique dans ces Régions, la présence de l’enseignement confessionnel n’en détermine pas moins largement le fonctionnement actuel du service public d’Éducation.

Le cas de Rennes…

La coprésence historique des deux réseaux en Bretagne a basculé ces dernières années à l’avantage du privé confessionnel catholique, tendance amplifiée par ailleurs avec la réforme du collège.

Mais la complémentarité et la concurrence entre les deux réseaux sont avant tout organisées par les collectivités territoriales et l’É- tat. Même si l’adhésion des familles à l’école publique, laïque et gratuite ne se dément pas, la saturation des collèges et lycées publics de secteur ou l’absence d’établissements publics à proximité les poussent vers le réseau privé, sauf à accepter des temps de trajets bien longs pour leurs jeunes. Guidel et Saint-Avé, deux communes de plus de 10 000 habitants dans le Morbihan, ont par exemple chacune un collège privé mais pas de collège public ! Les collégiens du privé catholique sont désormais majoritaires dans ce département. Pour la carte des formations, la Région rationalise l’offre avec la même logique et se soucie peu que des formations ne soient accessibles que dans le privé sur certains territoires (l’est du département 35 par exemple). Pour agir contre cette inégalité d’accès au réseau public, la FSU Bretagne et ses syndicats sont offensifs et diversifient leurs modalités d’actions. Récemment la publication par la FSU d’une étude scientifique sur la démographie scolaire (voir ci-contre) a révélé combien ces dernières années les baisses d’effectifs entraînaient des fermetures immédiates dans le public (à l’image de quatre collèges publics fermés sur les rentrées 2016 et 2017), contrairement au privé qui « amortissait » bien davantage en pareil cas1(1). Mais notre mobilisation sans relâche avec les familles et toutes les forces laïques a permis la construction enfin actée du lycée public de Ploermel (56), une victoire pour l’élévation des qualifications sur ce territoire jusqu’ici aux mains du réseau privé confessionnel.

… et celui de Nantes !

L’enseignement catholique scolarise moins de 20 % des élèves des premier et second degrés, en Sarthe mais plus de la moitié en Vendée. Mais le fait marquant de ces dernières années est l’inversion de la baisse régulière de la part de l’enseignement catholique, à la faveur de deux réformes emblématiques du quinquennat qui s’achève (rythmes et collège) qui ont offert à l’enseignement catholique l’opportunité de se singulariser.

Pour les LEGT et LP, c’est l’évolution de la carte des formations qui fait la part belle au privé, particulièrement depuis les dernières élections régionales. La victoire du camp laïque qui a réussi à imposer l’ouverture du lycée public des Mauges (49) risque malheureusement d’être sans lendemains.

(1) Ouvrage disponible sur commande à : fsu.bretagne@fsu.fr, 12 euros.

Un peu plus d’un million de jeunes suivent une formation initiale de second degré menant à un diplôme professionnel de niveau V (CAP pour l’essentiel) ou IV (baccalauréat professionnel ou équivalent).

Lls sont inscrits dans les lycées professionnels publics du ministère de l’Éducation nationale, dans les lycées du ministère de l’Agriculture, dans des établissements privés sous contrat ou hors contrat, ou bien ils sont apprentis. S’ils sont apprentis, ils ont signé un contrat de travail avec une entreprise et suivent des cours en CFA pendant une partie de leur temps de formation. 90 % des CFA sont privés (chambres de commerce et d’industrie, branche professionnelle, association) et sont largement subventionnés par les Régions.

Incurie de l’État

En fonction du type d’établissement, les conditions d’études et les modalités d’examens sont différentes : dans les établissements privés hors contrat, et dans les CFA non habilités par le ministère, la qualification des enseignants, la qualité et les contenus des formations ne sont pas garantis, et les candidats ne bénéficient pas du contrôle en cours de formation, ils passent toutes les épreuves en contrôle final. Mais dans les établissements privés sous contrat, dans les CFA « habilités », comme dans les lycées publics, le contrôle en cours de formation est omniprésent. Et comme en fait les ministères n’ont pas les moyens, ou ne se donnent pas les moyens, de contrôler réellement les conditions d’études et de certification dans les établissements privés et les CFA, on peut interroger sur le niveau réel des diplômes obtenus dans ces structures. Cela est d’autant plus préoccupant que le poids du privé dans l’enseignement professionnel est très important : presque un jeune sur deux qui prépare un diplôme professionnel le fait dans un établissement privé ; dans l’agriculture cette proportion est même de deux tiers. L’absence de contrôle de ces établissements contribue à leur développement et à l’augmentation des difficultés des jeunes dans ces formations. La concurrence public-privé ne s’arrête pas au niveau du baccalauréat, elle s’amplifie même dans l’enseignement supérieur. Dès les BTS l’absence de contrôle des formations privées est encore plus flagrante, ces formations deviennent de plus en plus oné- reuses pour les jeunes et leur famille et les possibilités de réussite parfois très aléatoires. On peut interpréter cela comme une démission partielle de l’État face à la nécessaire élévation de qualification des jeunes.

Des éléments à cliquer

Les palmarès des lycées donnent l’occasion aux établissements privés de louer les très bons résultats qu’ils obtiendraient. Mais ces établissements réussissent-ils vraiment mieux que les établissements publics ?

En fin de collège (enquête RERS 2016), 34,5 % des élèves du privé ont de très bonnes voire d’excellentes compétences langagières pour seulement 26 % de ceux du public hors Éducation Prioritaire (EP) et 15 % des élèves en EP. À l’autre extrémité, les élèves en grande difficulté ne sont que 7 % dans le privé, alors qu’ils représentent 15 % du public hors EP et 27 % des élèves de l’EP. Les résultats des élèves issus de l’enseignement privé sont donc meilleurs. Mais les établissements privés sont-ils plus efficaces ?

Le poids de la ségrégation sociale

On le sait une bonne part des inégalités scolaires s’explique par l’origine sociale des élèves. D’après une enquête de l’Observatoire de la politique de la ville (2015), seulement 2,7 % des établissements privés accueillent 25 % ou plus d’élèves issus de quartiers prioritaires (contre 13 % des établissements publics). Selon une autre étude de la DEPP(1) , à la rentrée 2015, 43 % des collégiens sont d’origine sociale dite « défavorisée » dans le public contre 20 % dans le privé. Ces inégalités sont anciennes mais elles s’accroissent. Ainsi, la part des catégories très favorisées dans le privé a gagné 7 points, de 30 % en 2003 à 37 % en 2015.

Selon les académies, la ségrégation sociale opérée par le privé diffère. Dans les acadé- mies de Rennes et Nantes (voir p. 24), son implantation est forte et les différences avec le public plus faibles. Faut-il y voir comme ailleurs un effet démocratique de la massification ? Pas si simple. Ainsi la Sarthe, pourtant dans l’académie de Nantes, échappe à ce schéma en alliant massification et ségrégation. Dans les académies de Paris et de Lille, le privé est bien implanté et ségrégatif.

Le privé n’est pas unicolore

L’étude la DEPP permet d’aller plus loin en analysant les inégalités entre les établissements privés. On y retrouve les académies de Paris et Lille où l’hétérogénéité du privé est forte. Dans les mêmes arrondissements vont coexister établissements élitistes avec des collèges plus mixtes.

Cela n’empêche pas des études, plus ou moins sérieuses, d’affirmer que « le privé fait plutôt mieux que le public » (2) en matière de mixité sociale. En effet, dans les quartiers défavorisés, les collèges privés en attirant une population plus favorisée seront plus mixtes que les collèges publics.

Stratégie de conquête

Au final, ces évolutions montrent une véritable stratégie de conquête de l’enseignement privé. Ce dernier a faiblement progressé, certes, mais il a renforcé son attractivité en reconfigurant son offre éducative. Il ferme des établissements plutôt populaires sur des territoires en perte démographique pour concentrer ses moyens dans les métropoles ou en périphérie urbaine où il entre directement en concurrence avec l’enseignement public. Il présente une offre diversifiée, de l’établissement d’élite des beaux quartiers à l’établissement qui permet le contournement de la carte scolaire. Mais une offre intégrée aussi, combinant premier degré et secondaire, voire post-bac, enseignement général, technique et professionnel, le tout dans un réseau serré d’établissements hié- rarchisés organisant une mobilité des élèves pour capter une nouvelle clientèle. Ils résultent d’une véritable stratégie de concurrence et de segmentation contribuant à renforcer les inégalités sociales et scolaires.

En 2011, l’OCDE concluait à une efficacité comparable des établissements du privé et du public, les bons résultats du privé s’expliquant par les différences de niveau initial des élèves. Les établissements privés, capables de sélectionner leurs élèves sur leur niveau scolaire, se contentent de faire réussir des jeunes déjà favorisés.

(1) Revue Éducation et formations, n° 91, septembre 2016.

(2) Pierre Courtioux, Dix ans de mixité sociale au collège : le public fait-il vraiment mieux que le privé ?, Éditions de l’Edhec, 2016.

La campagne électorale est l’occasion pour l’enseignement catholique de faire valoir à nouveau ses prétentions. Certains candidats y prêtent une oreille toute attentive.

Dans une longue adresse aux candidats, l’enseignement catholique entend apporter sa part au débat public en donnant sa vision de ce qui lui semble « le meilleur pour l’école ». Pas l’école catholique, l’école tout court ! Il est en effet question pour lui de « concourir à la construction d’un projet commun »… dans lequel on retrouve toutes les idées en vogue : flexibilité, souplesse, décentralisation, autonomie et contractualisation pour permettre la « diversité scolaire sans uniformité contraignante ». Le miracle de la fin de toutes formes de règles nationales pour plus d’adaptation au local, en somme. Mais les revendications sonnantes et trébuchantes sont aussi de mise, il faudrait « reconsidé- rer » la répartition des postes entre public et privé faite aujourd’hui sur la base de 80 % pour le public et 20 % pour le privé (voir page 23), histoire « d’ajuster le cadre aux réalités », et afin d’assurer la « liberté de choix des familles » dont 30 000 enfants frapperaient à la porte en vain.

Deux projets contradictoires

Les écoles privées confessionnelles sont déjà largement et indûment subventionnées à hauteur de 20 % des financements publics consacrés à l’éducation, au mépris de la loi de Séparation de 1905. Il existe de plus des territoires entiers où l’État délaisse l’école de la République. La mission de l’école publique laïque est d’assurer à tous les jeunes des savoirs pluriels, de les former à l’esprit critique et à la rationalité, à la connaissance des cultures (y compris dans leur dimension religieuse). Sa vocation est d’accueillir tous les enfants quelles que soient leurs origines ou les convictions philosophiques ou religieuses de leurs parents. Les établissements privés confessionnels ne peuvent prétendre concourir à ces missions. Cette campagne rencontre l’assentiment de certains responsables politiques qui par ailleurs se proclament farouches défenseurs de la laïcité. Chacun saura les renvoyer à leurs contradictions.

Le « caractère propre » des établissements privés sous contrat, reconnu par la loi Debré, n’a jamais eu de définition précise.

C’est un concept juridique assez flou qui permet de déroger à certaines règles en vigueur dans le public. Pour l’essentiel, aujourd’hui, il concerne l’encadrement éducatif des élèves. C’est au nom du caractère propre que la loi sur les signes religieux peut ne pas s’appliquer, que la mixité, en vigueur depuis 1975, n’est pas obligatoire, ou encore que le régime disciplinaire des élèves n’obéit pas forcément aux règles du public.

Éclairer… ou obscurcir ?

Théoriquement spécifique à chaque établissement, c’est surtout l’enseignement catholique qui s’est emparé de cette notion pour proposer un modèle éducatif alternatif, résumé dans la célèbre formule du Père Cloupet : « il n’y a pas de mathématiques chrétiennes, mais une manière différente de réfléchir sur les sciences à la lumière de l’Évangile ».

L’enseignement catholique a cependant progressivement reculé sur sa définition « de combat » du caractère propre. Il insiste désormais aussi sur le respect, inscrit lui aussi dans la loi, de la liberté de conscience, y compris pour les enseignants, dont il respecte désormais les choix de vie privée (ce qui n’a pas toujours été le cas). Depuis le début des années 1990, poussé par l’évolution des mentalités et de la jurisprudence, et bien que les enseignants restent astreints à un « devoir de réserve », il admet aussi une distinction entre « projet éducatif » et « animation spirituelle », instituant une sorte de double caractère propre : d’une part pour ce qui relève de l’enseignement lui-même, avec une définition essentiellement pédagogique, et d’autre part pour ce qui est de la transmission des valeurs chrétiennes et l’instruction religieuse.

Pourtant, en 2012 à quelques jours d’une manifestation nationale contre le mariage pour tous, le secrétaire général de l’enseignement catholique avait invité les chefs d’établissement à « prendre des initiatives » pour « éclairer » les élèves sur le projet gouvernemental, auquel il rappelait son opposition, provoquant une réaction assez vive du ministre Vincent Peillon pour qui cette invitation était un appel à soutenir la manif dite « pour tous ».

Une des questions en jeu est de savoir si l’enseignement doit respecter la liberté de conscience des parents, ou bien celle des jeunes. La réponse confessionnelle et la réponse laïque à cette question n’est évidemment pas la même. L’objectif de forger l’esprit critique des jeunes, au centre du projet de l’école laïque, suppose de ne pas les exposer aux prosélytismes et aux prêt-à- penser.

L’interview

Bruno Poucet  : « Le hors contrat profite des difficultés actuelles de la société française »

Bruno Poucet est professeur en sciences de lʼéducation à lʼuniversité de Picardie Jules-Verne où il enseigne lʼhistoire de lʼéducation. Il est également directeur du Centre amiénois de recherche en éducation et formation (CAREF) et de la revue Carrefours de lʼéducation. Il est notamment lʼauteur de La liberté sous contrat. Une histoire  de lʼenseignement privé (2010), ainsi que de Lʼenseignement privé en France (PUF, 2012).

« Le hors contrat profite des difficultés actuelles de la société française »

Il faut remettre les choses à leur juste proportion. Depuis 2000, il y a une augmentation contrastée des effectifs aussi bien dans lʼenseignement public que dans les deux formes dʼenseignement privé. Cette poussée se fait sentir particulièrement au niveau de lʼenseignement primaire public et de l’ensemble de lʼenseignement supérieur, même si le second degré est lui aussi en légère croissance. Néanmoins, il faut admettre que lʼenseignement hors contrat scolaire se développe proportionnellement de nouveau davantage depuis dix ans (il a doublé en chiffres absolus passant de 30 000 élèves à 60 000), alors quʼil était en régression dans les années antérieures et nʼa pas retrouvé son niveau antérieur de 82 000 élèves en 1985 par exemple. Toutefois, cette croissance est très relative : la proportion du hors contrat reste très faible : 3 % par rapport au sous-contrat et 0,4 % du total des 12 millions élèves scolarisés dans lʼenseignement scolaire… Il faut à mon sens éviter de relayer une publicité puissante et bien faite, surtout en ces temps électoraux, venant notamment de milieux ultralibéraux.

Un mot dʼhistoire : avant 1959, tous les établissements étaient dits « libres » puisquʼavant la loi Debré, il nʼexistait pas de contrats. Le hors contrat est aujourdʼhui une véritable nébuleuse : il y a des établissements qui existent depuis le XIXe siècle et ont refusé la contractualisation, il y a des établissements à orientation religieuse très prononcée (la plupart du temps en rupture avec les confessions religieuses reconnues), il y a des établissements à orientation pédagogique plus ou moins originale (Montessori, Steiner, bilingue en immersion ou non, régionaliste), voire franchement régressive (retour aux manuels des années 1950, à la blouse, à une discipline stricte). Il existe une fédération de ces établissements où certains se retrouvent et une fondation qui peut les aider financièrement à sʼorganiser. À strictement parler, il nʼy a pas de rapports entre ces établissements et les établissements sous contrat puisquʼils ne sont pas organisés dans les mêmes structures, ne reçoivent pas de subsides des pouvoirs publics. Ils se disent « indépendants » : en réalité, ils sont très dépendants des familles et ne doivent leur existence quʼà celles-ci : elles acceptent de payer des frais de scolarité souvent élevés. Enfin, précisons que certains établissements souhaitent passer sous contrat mais doivent attendre les cinq années réglementaires pour y prétendre et ne s’inscrivent ainsi que temporairement dans le cadre du hors contrat.

Le hors contrat était traditionnellement peu contrôlé et ce nʼest pas réellement une découverte de penser que certains établissements ne partagent pas nécessairement les valeurs républicaines : certains ont été créés pour cela ! Ce nʼest heureusement pas le cas de tous notamment lorsquʼil sʼagit dʼinnover pédagogiquement. Mais, en tout état de cause, la volonté de se tenir à lʼécart des structures publiques ou sous contrat nʼest pas nécessairement un signe dʼacceptation ou non du vivre ensemble républicain quelles quʼen soient les difficultés. Cela étant, lʼexistence un peu plus nombreuse de ces établissements doit être considérée comme un signal dʼalarme afin dʼaméliorer le fonctionnement de certains établissements du service public.

En dix ans, il y a un doublement. Le nombre dʼélèves concernés est certes très faible (moins de 10 000), lʼexistence de ce genre de scolarisation est ancien, cʼétait prévu dans les lois Ferry, mais on y trouvait essentiellement des familles aristocratiques ou de la haute-bourgoisie. Aujourdʼhui, elle sʼinscrit dans une volonté de plus en plus grande d’autonomisation de certains parents de classe moyenne et dʼune méfiance vis-à-vis des grandes institutions, écoles ou autres – lʼécole publique ou sous contrat ne pouvaient y échapper. Cʼest aussi dʼailleurs une voie de passage possible vers le hors-contrat.

Dossier publié en mai 2017 et coordonné par Frédérique Rolet et Jean-François Claudon
Réalisé par Fabienne Bellin, Grégory Frackowiak, Michel Galin, Marc Hennetier, Daniel Le Cam, Hervé Le Fiblec,
Gwénaël Le Pailh, Thierry Reygades, Emmanuel Séchet, Boris Thubert